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Vittorio Santoro

Italie/Suisse
vit et travaille entre Paris et Zürich

L’artiste italo‑helvétique Vittorio Santoro a une pratique que l’on pourrait qualifier de «conceptuelle incarnée». Si l’élément conceptuel sous‑tend de façon évidente chacune de ses propositions plastiques, relayé par ailleurs par un usage explicite du langage qui vient souvent dialoguer avec la forme plastique, les matériaux (bois, cuivre, miroir, jute…) qu’il utilise de façon récurrente pour ses installations ou propositions sculpturales sont soigneusement choisis, en fonction aussi de leur valence symbolique. L’usage du verbe se fait toujours à bon escient, avec une concision et une ambiguïté suffisantes pour que sa présence énigmatique, à l’instar de formules sphyngiennes, ouvre de nouveaux champs sémantiques, sans pour autant se donner entièrement. Cette indétermination polysémique répond d’ailleurs aux équilibres comme en suspens, aux juxtapositions formelles énigmatiques de ses propositions sculpturales. L’art de Santoro est littéralement un art sur le fil et liminal. Tout se passe aussi comme si l’artiste voulait aussi cristalliser en nous, ses spectateurs, et nous renvoyer la dynamique d’une praxis comme suspendue, d’un moment de choix, à la croisée des chemins, en fonction du sens que nous donnerons aux moments et contextes que nous traversons.

Ces différents aspects de son travail sont particulièrement sensibles dans les diverses propositions que nous incluons dans Bye Bye His‑Story, chapter 5050. « Avant » se trouve après « après » (2016) est la première œuvre que nous découvrons dans le parcours de l’exposition. Elle nous renvoie directement à notre image en rentrant dans l’espace d’exposition comme s’il nous appartenait à chacun.e d’entre nous de trouver et créer/co‑créer les sens de ce que nous allons rencontrer. A la lettre, le titre trouve sa justification concrète dans la position respective des prépositions dans le dictionnaire français. Au‑delà, il s’agit en effet de façon métaphorique de suggérer le fait que la recherche de sens ou des causalités des événements qui jalonnent nos existences suit en général le moment de la confrontation à ces derniers. C’est alors, dans un deuxième temps de réflexion, que l’on retrouve dans notre passé l’ancrage séminal, les racines annonciatrices de ce qui nous attend dans le futur. Mais ce n’est évidemment que l’une des possibles interprétations de l’œuvre. Celle‑ci s’appréhende d’ailleurs en deux voire trois temps successifs car elle est construite de façon dialectique par deux éléments collés bout à bout et que l’on ne découvre que successivement: le miroir placé perpendiculairement au mur et derrière ce dernier un échiquier, dont on voit le plateau, dans lequel l’artiste a dissimulé des origamis aux formes explicites de chouette ou de sphynx réalisés avec des articles de journaux quotidiens qui ont retenu son attention au moment de la réalisation de la pièce. Ces éléments, exprimant la sagesse et ses énigmes, se dérobent de façon symbolique au spectateur, qui n’en découvrira l’existence qu’en lisant cette entrée de catalogue. Par ailleurs, la symbolique de l’échiquier déserté, sens dessus dessous, pourrait résonner comme une invitation à nous éloigner ou remettre en question toute logique binaire, pour aller de l’avant. A contrario, il pourrait aussi exprimer le fait que notre parcours d’être pensant et réfléchissant ne peut faire l’économie d’un antagonisme dialectique au sein de notre propre conscience.

Non loin de là non plus, toujours dans l’espace d’accueil de l’exposition, le lecteur peut découvrir We Should See (2019) une sculpture en suspension, en équilibre précaire, faite de deux planches de bois, l’une de bois noble (d’acajou), l’autre de pin sur lesquelles on découvre trois plaquettes de laiton gravées évoquant diverses injonctions correspondant à notre rapport à la vision et la compréhension (We Should See, We Can See, We Could See, We Must See, We Have to See / We Will See, We Need to See, We Fail to See / We Never See).

L’eau‑forte Une porte doit‑être ouverte ou non fermée (2017) reprend le titre de l’intervention dans l’espace public (ou, plutôt, rendu public) par lequel des phrases / maximes efficaces et sibyllines à l’instar de « Avant » se trouve après « après » étaient imprimées sur des drapeaux disséminés dans le tissu urbain parisien, accrochés aux balcons de personnes qui avaient accepté de les montrer, à l’occasion de son exposition éponyme pour le Prix Marcel Duchamp 2017. En l’absence de ponctuation, la phrase peut revêtir des significations fort distinctes, voire opposées. En l’occurrence elle peut fonctionner comme un simple syllogisme, par l’équivalence entre les deux locutions qualificatives, ou, si l’on ajoute une virgule entre les deux qualificatifs, exprimer ce choix critique entre ouverture et fermeture. Le graphisme de l’aphorisme reprend la démarche que Santoro utilise dans ses Time‑Based Text Works, où l’artiste revient, inlassablement, à la main, quotidiennement, pendant six mois (quelque fois moins), sur une phrase originellement inscrite en helvetica, induisant une résolution dialectique et méditative entre le mécanique et l’humain.

Nous retrouvons des pièces dans le dernier espace de l’exposition, au rez‑de‑chaussée: de part et d’autre de la cimaise qui ménage l’accès ou la sortie nous retrouvons deux plaques de métal gravées, respectivement des inscriptions Sentinelle et témoin (2017), Witness and Sentinel (2017) qui mettent le doigt sur le rôle d’observateur, mais aussi d’acteur que nous avons par rapport aux événements que la société dans laquelle nous nous vivons et traversons. Comme une invitation à l’engagement actif par rapport à nos valeurs. Non loin de là, Resolution Work (Contortionist) (2018), énumère non sans un certain humour absurde de possibles bonnes résolutions pour l’avenir, gravées à la main sur une fine plaque de cuivre marouflée.

English

The Italian-Swiss artist Vittorio Santoro has a practice that could be described as “conceptual made tangible ». While the conceptual element clearly underlies each of his plastic proposals, which is in fact relayed by an explicit use of language which often comes into dialogue with the plastic form, the materials (wood, copper, mirror, jute …) that he recurrently uses for his installations or sculptural works are carefully chosen, also for to their symbolic meaning. Moreover, the word is always used judiciously, with sufficient conciseness and ambiguity for its enigmatic presence, like a sphynx’s riddle, to open up new semantic fields, without giving itself away entirely. This polysemic indeterminacy in fact reflects both the balances in suspension and the enigmatic formal juxtapositions of his sculptural works. The art of Santoro is literally an art that is on the edge and liminal. It is as if the artist also wanted to crystallize in us, his viewers, and to send back to us the dynamics of a praxis as if suspended, of a moment of choice, at the crossroads, according to the meaning that we will give to the moments and contexts that we pass through. These different aspects of his work are particularly palpable in the various works that we are including in Bye Bye His-Story, chapter 5050.

 « Avant » se trouve après « après » [Before is after after] (2016) is the first work we discover in the course of the exhibition. It directly reflects back to us our image when we enter the exhibition space as if it was up to each of us to find and create/co-create the meanings of what we will encounter. In a literal sense, the title finds its concrete justification in the respective position of the prepositions in the French dictionary. Beyond that, it is in fact a metaphorical question of the fact that the search for the meaning or the causalities of the events that punctuate our lives generally comes after the moment of confrontation with them. It is then, in a second phase of reflection, that we find in our past the seminal anchoring, the foreshadowing roots of what awaits us in the future. But this is obviously only one of the possible interpretations of the work. It can be understood in two or even three successive stages because it is constructed in a dialectical way, with two elements glued end to end, that we only discover successively: the mirror placed perpendicular to the wall and behind this, a chess game in which the artist has concealed origami with explicit owl or moth shapes made from daily newspaper pages which captured his attention at the time of the realization of the piece. These elements, expressing wisdom and its enigmas, are symbolically hidden from the viewer, who will only discover their existence when reading this catalogue entry.

Moreover, the symbolism of the deserted chessboard, upside down, could be taken as an invitation to move away or question any binary logic, to move forward. Conversely, it could also express the fact that our journey as a thinking and reflecting being cannot do without a dialectical antagonism within our own consciousness. Also not far from there, still in the reception area of the exhibition, the reader can discover We should see (2019) a hanging sculpture made of two wooden planks, one of mahogany, the other of pine. on which we find three engraved copper plates evoking various injunctions corresponding to our relationship to vision and understanding (We Should See, We Can See, We Could See, We Must See, We Have to See/We Will See, We Need to See, We Fail to See/We Never See).

The etching Une porte doit-être ouverte ou non fermée [A door must be open or not closed] (2017) takes up the title of the intervention made in the public space (or, rather, made public) by which effective and cryptic sentences/maxims the likes of « Avant » se trouve après « après » were printed on flags scattered throughout the urban space of Paris, on the occasion of its namesake exhibition for the Prix Marcel Duchamp 2017. In the absence of punctuation, the sentence can take on very distinct or even opposite meanings. In this case, it can function as a simple syllogism, by the equivalence between the two qualifying phrases, or, if we add a comma between the two qualifiers, express this critical choice between opening and closing. The graphic design of the aphorism reprises the approach that Santoro uses in his Time-Based Text Works, where the artist returns, tirelessly, by hand, daily, for six months (sometimes less), to a sentence originally inscribed in Helvetica, inducing a dialectical and meditative resolution between the mechanical and the human.

We find pieces in the last space of the exhibition, on the ground floor: on either side of the paneled structure which provides access or exit, we find two metal plaques, respectively engraved with the inscriptions Sentinelle et témoin (2017), Witness and Sentinel (2017), which aptly point out the role of observer, but also the role of actor that we have in relation to the events that the society in which we live and we ourselves undergo. As an invitation to active engagement with our values. Nearby, Resolution Work (Contortionist) (2018), not without some absurd humour, lists possible good resolutions for the future, hand-engraved on a thin copper plate mounted on it.