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du 12 mars au 17 juillet 2011

Nos œuvres voyagent

au Château de Waroux (Alleur)

De Dali à Magritte

Le Centre de la Gravure prête 15 pièces d’Albin Brunowsky, Max Ernst, Camille De Taeye, Reinhoud, Asger Jorn, Christian Zeimert et Olivier O.Olivier

Cette exposition au Château de Waroux (4432 – Alleur) rassemble une centaine d’oeuvres originales de, notamment, Salvador Dali, Joan Miro, René Magritte, Paul Delvaux, Max Ernst ou André Masson.

Le Centre de la Gravure prête 15 pièces d’Albin Brunowsky, Max Ernst, Camille De Taeye, Reinhoud, Asger Jorn, Christian Zeimert et Olivier O.Olivier


 

Les collections du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée à La Louvière 
Une filiation surréaliste insolite… – un texte de Dominique Durinckx.

En mars 1934, le poète surréaliste Achille Chavée fondait à La Louvière le groupe Rupture, prônant, dans la lignée d’André Breton, la pratique de l’écriture automatique et la rigueur d’un engagement politique sans concession. Rupture venait idéologiquement en écho à la violence insurrectionnelle des grèves qui secouèrent le Borinage en 1932. Avec les poètes Fernand Dumont et Marcel Havrenne, Chavée a contribué, aux côtés du jeune cercle d’art Tendances contemporaines, à l’organisation d’une exposition surréaliste à La Louvière. Contre toute attente, la petite cité métallurgique allait devenir le théâtre de la première manifestation internationale du Surréalisme en Belgique.

Du 13 au 27 octobre 1935, la salle communale accueillait, à la grande perplexité des visiteurs, des toiles signées par tous les grands noms que comptait alors le mouvement : Brauner, Dali, Ernst, Magritte, Miro… En 1939, avec d’autres artistes hennuyers, le sculpteur louviérois Pol Bury, également ami de Chavée, allait fonder à Mons le Groupe surréaliste du Hainaut. Une guerre et trois décennies plus tard, de jeunes intellectuels proches d’Achille Chavée, alors auréolé d’une notoriété grandissante, décident de célébrer le Centenaire de la Ville de La Louvière par une exposition consacrée au Surréalisme. Le Ministère de la Culture Française venait de concevoir, à l’initiative de René Léonard, une exposition itinérante intitulée Introduction au Surréalisme en Belgique. Aussitôt contacté, Monsieur Léonard encouragea la présentation de l’exposition à La Louvière en avril 1969, mettant en évidence l’activité surréaliste dans la région du Centre. L’événement se déroulait, par un curieux hasard, dans des locaux récemment acquis par la Ville de La Louvière, à l’emplacement de l’actuel Centre de la Gravure…

Parmi les organisateurs figurait l’éditeur et écrivain André Balthazar. Ce dernier, ami proche de Chavée, avait créé en 1953, avec Pol Bury, l’Académie de Montbliart, qui donnera naissance en 1959 à la maison d’édition du Daily-Bul. André Balthazar annonçait en ces termes l’exposition de 1969 (in Introduction au surréalisme en Belgique, 1969) :

« Nous savons que le surréalisme n’est pas une étiquette de flacon et que le mot, sous sa netteté lexicographique, couvre bien des vertiges. La panoplie du parfait surréaliste n’aurait pas l’impeccable et dérisoire simplicité de celles de l’enfant de chœur ou de l’agent de police. Trop de colères, de rêves, de jeux, d’abandons surveillés, d’aventures totales, de rires, de frissons, de coups de dés… toujours complices mais le plus souvent superbement indépendants, bousculent la misérable et confortable rigueur des définitions »

Dans la foulée de cette manifestation, et à la faveur de son succès, le groupe d’amis qui était à l’origine du projet examina avec des responsables du Ministère de la Culture la possibilité de créer à La Louvière un musée permanent décentralisé consacré à l’image imprimée. Au terme d’une période de préfiguration initiée en 1984, les nouveaux locaux du Centre de la 2 Gravure seront finalement inaugurés en septembre 1988 après de nombreuses années d’atermoiements, de vicissitudes politiques et d’enthousiasmes indéfectibles.

La direction du musée est alors confiée à André Balthazar jusqu’en 1994. Il orientera dans les premières années le choix des collections. En effet, la collaboration récurrente des éditions du DailyBul à La Louvière avec de nombreux artistes internationaux à vocation anticonformiste a déterminé dans une certaine mesure les acquisitions du Centre de la Gravure. Le Daily-Bul propose à ce jour un important catalogue inspiré par l’insolite, la dérision, l’humour, l’absurde, voire l’insolence. Ses publications bibliophiliques ont pour particularité d’associer la littérature contemporaine aux arts plastiques par le biais d’écrits et poèmes illustrés par des artistes belges, comme Camille De Taeye, ou étrangers, comme le pragois Petr Pos, l’argentin Antonio Segui, ou les membres de « l’anti-mouvement » Panique (1962-1973) fondé à Paris par Fernando Arrabal, Alejandro Jodorowsky, Olivier O. Olivier, Jacques Sternberg et Roland Topor.

Au même titre, Pierre Alechinsky et Pol Bury ont entretenu un rapport réellement privilégié avec le musée. Dans leur sillage, les acteurs du groupe Cobra (1948-1951) y occupent une place de choix avec des artistes comme Christian Dotremont, Reinhoud, Serge Vandercam, Karel Appel ou Raoul Ubac. Plus récemment, à la faveur de nouvelles acquisitions, les artistes Asger Jorn ou Corneille sont venus compléter l’illustration de ce mouvement. La plupart des artistes du groupe Cobra étaient issus de la mouvance surréaliste comme en atteste leur intérêt passionné pour les cultures marginales, l’art brut et les mystères de l’inconscient. L’artiste danois Asger Jorn (1914-1973) adhéra au Surréalisme Révolutionnaire en 1947 et un an plus tard au groupe Cobra dont il devint un théoricien actif. Il s’en suivra une période particulièrement créative : œuvres collectives, expositions et revues pour lesquelles il rédige de nombreux articles. L’année de la dissolution de Cobra, en 1951, Jorn souffre d’une grave tuberculose. Il passera de longues périodes en sanatorium au Danemark, en Suisse et en Italie. Sa turbulence, son projet anti-culturel, ne peuvent être comparés qu’à ceux de Dubuffet, qu’il admirait. L’Homme araignée (1953) est issu de la Schweizer Suite, vaste ensemble de vingt-trois eaux-fortes. Ces gravures semblent combiner l’étrangeté des images d’Ensor avec l’expressionnisme visionnaire de Munch. Les masques grimaçants y côtoient des gnomes et autres trolls tout droit sortis des légendes scandinaves.

Les planches du recueil Schweizer Suite furent gravées à Chesière-Villars, non loin de Lausanne. L’artiste belge Reinhoud d’Haese, dit Reinhoud (1928-2007) a suivi un apprentissage d’orfèvre et une formation en sculpture à La Cambre à Bruxelles. Il fréquente les Ateliers du Marais en 1950 et se lie d’amitié avec Pierre Alechinsky. Il participe alors aux activités du groupe Cobra. Dès cette époque, il donne vie à un bestiaire étrange et burlesque peuplé de figures mi-humaines, mi-animales aux formes hybrides. Friand d’expérimentations, le sculpteur aborde la pratique de la gravure à partir de 1978 et découvre un procédé particulièrement original. Il part de morceaux de métal, rebus de ses sculptures, qu’il assemble en exploitant l’expressivité de leurs soudures apparentes. Par la nature de son 3 inspiration et l’exploration de techniques inédites, l’art de Reinhoud relève incontestablement d’une filiation surréaliste. Son travail évoque un monde onirique et rompt avec tout conformisme pour libérer l’expression des entraves de l’apprentissage académique ou de la conscience.

Olivier O. Olivier (1931) et Christian Zeimert (1934) comptent parmi les fondateurs de Panique. Inspirés par la tendance figurative du surréalisme, ces deux artistes restituent minutieusement les éléments du réel tout en ménageant des juxtapositions d’images et des décalages sémantiques provocateurs. Olivier O. Olivier fut membre du Collège de Pataphysique dès 1955 et adhère en 1999 à l’OUPEINPO, contraction d’OUvroir de PEINture POtentielle, mouvement créé en 1980 dans le but d’inventer des formes, des contraintes mathématiques, logiques ou ludiques capables de soutenir le travail des artistes visuels. La suite lithographique Romances muettes (1976) renvoie à un monde poétique indépendant de toute logique, ne s’autorisant aucune censure. Le rôle de la femme et de la sexualité y occupe une place primordiale comme dans la peinture symboliste. A la manière de Magritte, il combine formes et objets sans liens apparents à l’aide d’une technique très réaliste.

Christian Zeimert se classe parmi les peintres de l’humour noir. Humour, qu’il a pratiqué aussi dans des émissions diffusées par France Culture, telles que Les Détraqués et Les Papous dans la tête. Ses travaux se lisent comme des jeux de mots mis en images, volontiers cruels, cyniques et dérangeants.

Dans une même lignée figurative, Camille De Taeye (1938) n’est pas à proprement parler un peintre surréaliste et il s’en défend. Toutefois, son œuvre fait irrésistiblement penser à la peinture de Delvaux à cause de ses associations d’idées et d’images équivoques. Cet élève de Gaston Bertrand a enseigné à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles ainsi qu’à l’Ecole des Arts Constantin Meunier d’Etterbeek. Depuis 1982, il a beaucoup travaillé pour le théâtre, imaginant de nombreux décors et costumes. De fait, son œuvre est en elle-même très théâtrale et se décline comme une suite de narrations dramatiques. Les modèles féminins, nus ou élégamment vêtus, y arborent des visages étrangement effacés tandis que les évocations de la mort, par squelettes interposés, envahissent la scène, disputant la vedette à un inquiétant bestiaire. Les grandes biennales internationales d’estampes ont permis d’ouvrir le Centre de la Gravure à des talents méconnus issus du Japon ou des pays de l’Est.

A l’occasion de la Biennale de Bon-Secours en 1984, Albin Brunovsky (1937-1997) entre dans les collections du Centre. Ce graveur slovaque a suivi les cours de l’Académie des Arts décoratifs de Bratislava chez le graveur Vincent Hloznik, pédagogue au large rayonnement humaniste. Hloznik était fasciné par le surréalisme qui avait fait son apparition dans la poésie slovaque à la veille de la seconde guerre mondiale. Il initiait les étudiants aux techniques de l’estampe tout en ouvrant leur esprit à un mode de pensée onirique et libérateur, fait non négligeable dans le contexte politique de l’époque. Influencé par Klee, Kandinsky, Miro et Chagall dans les 4 années soixante, Brunovsky adoptera par la suite un néo-maniérisme exacerbé convenant parfaitement à son talent d’aquafortiste et à son imagination débordante. Ses œuvres illustrent la complexité du monde dont elles reflètent une image pessimiste en dépit de leur beauté formelle comme en témoigne Dulcinea (1982). Le personnage de Don Quichotte, se débattant hagard et dépenaillé dans l’improbable coiffe qui surmonte ce portrait féminin d’inspiration médiévale souligne la prédilection de Brunovsky pour l’œuvre de Cervantès qu’il a illustrée avec bonheur.

En 1997, la Ville de La Louvière eu l’opportunité, par l’intermédiaire du Centre de la Gravure, de faire l’acquisition de lithographies de Max Ernst (1891-1976), chantre allemand du surréalisme qui contribua à la naissance de ce mouvement à Montparnasse. Bibliothèque Nationale fut éditée à l’occasion d’une exposition consacrée aux estampes et livres illustrés de Max Ernst organisée par Jean Adhémar à la Bibliothèque Nationale de Paris en 1975. XXe Siècle accompagnait la parution du numéro 42 de la revue d’art XXe Siècle consacré au surréalisme en 1974. Liées à la tendance abstraite du mouvement, ces estampes renvoient aux recherches assidues de l’artiste en matière d’œuvres sur papier. Expérimentant constamment, il avait inventé en 1925 le procédé du frottage qui fait apparaître des figures plus ou moins imaginaires s’apparentant à l’écriture automatique. Avec l’aide de Miro, il élabora encore la technique du grattage puis découvrit la décalcomanie, par décollement rapide d’une feuille de papier appliquée sur des taches d’encre aléatoires. Cette pratique de décollement fut régulièrement exploitée par d’autres surréalistes dont Oscar Dominguez qui était venu en faire une démonstration aux Ateliers du Marais à Bruxelles pendant l’époque Cobra (1948-1951).

Laissons Achille Chavée terminer avec optimisme et générosité ce chapitre consacré aux collections du Centre de la Gravure, puisqu’il contribua un peu, voici bien des années, à l’éclosion de cette institution. « … l’expérience continue et il appartient à chacun, la poésie devant être faite par tous et non par un, de la rendre plus redoutablement belle, d’autant plus inexorablement belle que l’homme a de plus en plus faim de véritable liberté ». A. Chavée, le 18 mars 1969

Dominique Durinckx, gestionnaire des collections du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée